C'est une série où la temporalité prend tout son sens. On ne peut rien brusquer, tout se joue en finesse et l'image apparaît au détour d'un reflet. La lumière joue un rôle essentiel; sans elle, le reflet n’existerait pas. Elle le fait apparaître comme par magie, le module en fonction de son intensité. La création d’un reflet impose une deuxième composante, un élément dans lequel la réflexion se crée au contact de la lumière : l’eau, un miroir, une surface vitrée ou réfléchissante comme l’inox par exemple. Les éléments qui se reflètent sont mouvants; tantôt flous, tantôt nets. L'artiste essaie de capter le passage délicat et rapide de l’un à l’autre. L’instant est fragile, presque insaisissable.
Cette nouvelle perception de la réalité ouvre de nouveaux horizons. La déformation d’un espace réel et sa représentation au travers d’un reflet nous propose une expérience insolite et inédite.
Le reflet dans l’art possède un réel pouvoir sur l’espace. Il change la fonctionnalité, l’usage de l’espace et réinvente l’expérience du spectateur. Ce dernier devient acteur dans l’apparition du reflet qui se modifie en fonction de l’endroit où se place le spectateur.
Le reflet nous suit partout, de par sa singularité, il nous offre une deuxième vision une nouvelle fenêtre sur le monde qui nous entoure. Il déforme, interprète, est mobile, changeant mais il correspond aussi à la représentation d’un nouvel espace: le reflet de ce qui nous entoure.​​​​​​​
Le reflet est présent dans de nombreuses références. Le mythe de Narcisse dans la mythologie met en scène un homme s’étant épris de l’image de son reflet au point d’en mourir pour lui. Le reflet devient ici un danger potentiel. « Le miroir ferait bien de réfléchir avant de nous renvoyer notre image » comme l’a très bien dit Jean Cocteau.
Au cours de l’histoire il est intéressant de remarquer qu’avant le XXème siècle, le reflet ne possédait pas une réelle importance. Néanmoins, nous pouvons faire une exception dans le temps et remonter à l’époque de la Renaissance où le reflet eut un temps, une place importante. La Renaissance signe la présence de l’humanisme visant à placer l’être humain au centre de toutes choses. En peinture, nous pouvons trouver de nombreux exemples montrant que le reflet prend une place importante au sein de la composition, notamment dans « Les Ménines » de Diego Velasquez de 1656.
Au milieu des années 1920, les surréalistes commencèrent à se passionner pour les reflets des vitrines et les phénomènes de réflexion se retrouvèrent au cœur des questionnements d’avant-garde. Dans son Paysan de Paris, publié en 1926, Louis Aragon consacre ainsi plusieurs pages à décrire les télescopages visuels que produisent les vitrines des passages. Dans un article de 1928, intitulé « Les spectacles de la rue », Robert Desnos s’attarde également sur ces « étonnantes vitrines », « plus nombreuses à Paris que nulle part ailleurs » et où « la vie se reflète irréelle […] avec les apparences du rêve ».
À l'écoute de l'eau et de ses mystères, Gaston Bachelard entraîne son lecteur dans une méditation littéraire et psychologique à travers son essai « L’eau et les Rêves » en 1942.
« C'est près de l'eau que j'ai le mieux compris que la rêverie est un univers en émanation, un souffle odorant qui sort des choses par l'intermédiaire d'un rêveur. Si je veux étudier la vie des images de l'eau, il me faut donc rendre leur rôle dominant à la rivière et aux sources de mon pays ».
Les dernières décennies, de nombreux artistes se sont emparés du sujet pour faire du reflet un moyen privilégié afin d’exprimer un concept, une idée, parfois même une revendication. Le reflet peut devenir un vecteur d’expression privilégié. Les artistes peuvent s’emparer de la réalité de notre monde, déjà existante, et ainsi la déformer à leur manière pour tenter d’en extraire des messages.
« Cloudgate, » d’Anish Kapoor de 2006 illustre ces propos. Sa sculpture, aussi appelée « haricot » par les habitants de Chicago est composée de 168 plaques d’acier inox, un métal qui une fois polissé, offre des centaines de points de vues différents pour l’observer. Chacun de ses points de vues offre une nouvelle vision de notre reflet mais aussi une nouvelle vision de l’environnement.

Dans l’univers cinématographique et photographique, quantité de films et de photographies montrent un paysage, capté de face, reflété dans l’eau comme dans le film « 13 Lakes » réalisé en 2004 par le cinéaste américain indépendant James Benning. C'est un exemple de cinéma lent, mettant l'accent sur l'introspection et la contemplation. La temporalité se rapproche de « Reflection »; elle nécessite un contemplation longue des éléments naturels, telles que la lumière ou l’eau.

« Regen » de Joris Ivens et Mannus Franken est, à un autre niveau, une œuvre clé dans le corpus de la flaque. Les cinéastes s’intéressent à ce qu’une chose aussi banale que la pluie fait apparaître dans une ville : de la lumière sur les lignes architecturales, des déplacements de citoyens, des formes, des objets.

« Reflection » fait également écho au premier plan du « Angst essen seele auf » ( tous les autres s’appellent Ali ) de Fassbinder : on se situe au niveau du bitume, la lentille plaquée sur le trottoir mouillé, la nuit. Une flaque à l’avant-plan, légèrement décadré à droite, reflète la lumière d’un lampadaire, alors que des voitures floues traversent le plan en striures jaunes et rouges, et que s’élève un chant en arabe.
L’eau joue un rôle primordial dans « Reflection ». Le reflet se forme dans une flaque d’eau, recueillie dans une bâche.
La flaque est entre autres choses une sorte de prisme jeté au sol, qui reflète, déforme parfois, transforme, permet de retrouver le réel ou encore d’en réfracter la lumière. Alors peut-être que, même si elle n’est pas un motif dominant comme l’est le miroir, par sa discrétion même, elle pointe quelque chose de fondamental dans le lien de la réalité à notre environnement naturel et urbain et par prolongation, à nous-même.

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